Introduction
A
l’inverse du mot « conscience », spontanément le mot « désir »
n’évoque rien de très « philosophique », si l’on entend par-là
(toujours spontanément) quelque chose d’« élevé ». Le désir évoque
plutôt l’empire du corps, du "matériel" et du charnel : on pense
immédiatement à envie, convoitise, pulsion, plaisir ou passion... Voyons plutôt
ce que dit l’étymologie.
Le
verbe “désirer” vient du latin « desiderare ». « Sidus »,
« sideris » : constellation. « Considerare », c’est
contempler l’astre. « Desiderare » c’est regretter son absence.
L’étymologie présuppose ainsi deux éléments : 1° l’objet du désir possède une
grande valeur (merveilleux, brillant comme un astre) 2° il est absent,
de sorte que le désir serait manque.
Lalande,
dans son Dictionnaire, définit le désir comme une “tendance spontanée et
consciente vers une fin connue ou imaginée”. La fin ou le but est
ici l’« objet » du désir. Désirer, c’est tendre vers quelque chose. Mais
la « tendance » est souvent assimilée à la pulsion spontanée, c’est
pourquoi Lalande ajoute l’adjectif « consciente ». Spontanée :
car le désir ne se décrète pas, il n’est pas un choix ou une décision issue
d’une délibération ou d’une réflexion. Consciente : car le désir est
« subjectif », il mobilise notre personne entière et tout notre être.
Cependant,
depuis Freud, l’on parle aussi de « désir inconscient ». De même
qu’il ne faut pas confondre la pulsion (locale) et le désir (global), il ne
faut pas confondre la volonté (toujours consciente) et le désir (parfois
inconscient). La volonté est toujours
consciente et précède l’action. Tandis que désir est un pur ressenti, qui peut
être inconscient. La volonté est consciente : normalement, je sais
ce que je veux ! Même si quelqu'un me fait remarquer avec un air
légèrement exaspéré : "tu ne sais pas ce que tu veux !", cette phrase
vise plutôt le désir car elle a précisément pour signification : "ce que
tu désires (réellement) n'est pas ce que tu veux (apparemment)", donc
"tu ne sais pas ce que tu désires" ! Tâchons de clarifier :
ce qui est conscient dans le désir c’est le fait même de désirer (je désire
quelque chose… ou pas) ; ce qui a priori est inconscient c'est pourquoi l’on désire (quelle est
l’origine de ce manque ?) ; enfin ce qui est plus ou moins conscient,
c'est l'objet même du désir (est-ce vraiment ceci… ou plutôt cela ?).
D’où la suite ambiguë de la définition de Lalande : « connue ou
imaginée ». Une fin imaginée, cela peut aussi bien être un objet rêvé au
sens d’idéal qu’un objet rêvé au sens d’illusoire, inexistant…
En
tout cas cet aspect imaginaire de l’objet du désir introduit un doute : savons-nous
vraiment ce que nous désirons ? Au-delà des objets immédiats que l'on
"croit" désirer, le motif véritable qui relance sans cesse notre
désir n'est-il pas par définition toujours "autre" et mystérieux ? Car
il semble évident que si le désir implique un manque, il faut bien qu’il ne
soit jamais satisfait entièrement pour continuer d’exister, donc il faut que
l’objet demeure de quelque façon insaisissable. D’où les trois thèses que nous
allons examiner, qui nous mènent vers un mystère toujours croissant…
–
1ère thèse : le désir
est naturel, donc l’objet du désir est connu de tous, et accessible, c’est
le bonheur. Selon une première hypothèse qui est majoritairement
celle des philosophes antiques, le désir serait un phénomène "naturel"
se donnant des buts eux-mêmes naturels, comme se nourrir convenablement,
s'accorder des satisfactions physiques et intellectuelles, et tout ceci
finalement dans le but supérieur d'accéder au bonheur… Mais l'homme désire-t-il
"simplement" comme un être naturel ? Peut-il se contenter d'un
bonheur "simple" et d'ailleurs est-il fait pour le bonheur ?
–
2ème thèse :
Le désir est spécifiquement humain et
même social, son objet est la reconnaissance. Si le désir est
propre aux sujets conscients (pour le distinguer des instincts et des simples
tendances), il faut bien qu'il se montre en quelque sorte à la
"hauteur" de la conscience. C’est la conscience elle-même qui désire,
et que désire-t-elle sinon la reconnaissance de soi ? D’où le fait que le désir
soit intrinsèquement social, c’est-à-dire mimétique. D’où ces formes de
désir que nous rencontrons typiquement au sein de la société, comme le désir de
domination ou le désir de pouvoir. Or cette influence d’autrui sur notre propre
désir, en sommes-nous conscients ?
– 3ème thèse : Le vrai
désir de l’homme est avant tout le désir amoureux, dont l’objet est l’Autre
en tant que tel. Le vrai désir
humain n’est-il pas le désir d’aimer un autre humain, le désir amoureux ?
Qu'est-ce que le désir amoureux sinon le désir de posséder l’Autre et/ou d’être
possédé par lui, en passant le plus souvent par la possession charnelle ? N’est-ce
pas alors un paradoxe étonnant, puisqu’il est évidemment impossible de posséder
l’Autre physiquement, et que la sexualité ne fait que nous en donner
l’illusion ? Serions-nous assez fous pour désirer l’impossible ? Or,
c’est bien sous cet aspect - passionnel et sexuel - que le désir humain échappe
en grande partie à la conscience étant donné les soubassements pulsionnels et
fantasmatiques, essentiellement inconscients, dudit désir.